Isidore
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Un livre hors norme :
Journal d’un Jurassien expatrié en Espagne, plus précisément à l’Escala au bord de la baie de Rosas dont le paysage qui se dresse en toile de fond est souvent évoqué, à la tête d’un paragraphe ou au détour d’une phrase, par petites touches à la manière impressionniste : « L’horizon sous un ciel vaporeux se dilue dans un dégradé de gris qui efface l’ombre des montagnes… Sur la surface unie de la mer qui s’offre en miroir à un pâle soleil courent d’imperceptibles moires dont les frissonnantes variations de couleurs aux tons ardoisés nuancés de bleu s’évanouissent en molles clartés blanches vers le large. L’opacité laiteuse qu’entretient au-dessus de l’eau un jour terne et voilé s’est pénétrée peu à peu, à l’approche du soir, d’un poudroiement doré, teinté de rose, soudain lustré de vifs reflets lorsque le couchant s’est enflammé par une ultime éclaircie furtivement aperçue derrière les Pyrénées. Un bateau de pêche somnolait au loin dans la brume. Une journée paisible à l’image de ce paysage en demi-teintes dont la vue est à elle seule un repos… » (30 novembre 2020).
C’est un des grands charmes de ce livre (qui justifie à lui seul cinq étoiles), par ailleurs si chargé, surtout dans la première partie, d’actualités amplement commentées avec une implacable clairvoyance qui procède, selon l’auteur, d’un unique souci d’objectivité. Celui-ci proteste, en effet, qu’il ne se fait ainsi que l’interprète du simple bon sens : « Je ne suis d’ailleurs pas attaché à mes opinions au point d’en faire une question d’amour-propre. En vérité, je m’en moque, ce n’est pas ça qui m’importe et qui décide de mes sentiments, pas plus que de mes jugements sur tel ou tel. C’est une certaine éducation d’où découlent les bonnes manières sans lesquelles il n’y a pas de civilité ni de sociabilité possible. » On pourrait ajouter ni d’honnêteté intellectuelle possible.
Des réflexions, qui embrassent un large éventail de sujets dans tous les domaines (que ce soit la politique, les faits de société, l’histoire, la philosophie, la littérature ou le cinéma), se succèdent au fil des pages entremêlées à la trame du quotidien. Leur variété contribue de la sorte à donner un ton d’improvisation à ce journal écrit au jour le jour (il n’en manque pas un seul !).
Un journal qui, empreint également de nostalgie, nous replonge dans un passé familial à travers une émouvante galerie de portraits sentant encore son terroir et sa vieille France : « C’étaient des gens de l’ancien temps (un ancien temps pas si vieux que ça) qu’il n’est plus possible de comprendre selon nos critères. Je doute que la société y ait gagné. » Voilà peut-être la moralité essentielle de ce livre hors norme.