La grande distribution se comporte « comme un lapin affolé dans les phares » d’Amazon

Henri Mojon

Dans une tribune au « Monde », Henri Mojon, président des Editions du Net, explique que la grande distribution ne pourra se contenter du « Drive » pour répondre à l’irruption des géants du numérique dans leurs métiers.

Amazon rachète la chaîne de magasins américaine d’épiceries bio Whole Foods pour 13,7 milliards de dollars, et c’est toute la planète de la grande distribution qui tremble. Tous les distributeurs dévissent en Bourse et des observateurs annoncent déjà les rachats du néerlandais Ahold-Delhaize et du français Carrefour, tous les deux en difficulté.

Il faut dire qu’Amazon a déjà annoncé une baisse des prix dans ses épiceries, préfigurant une guerre commerciale avec Walmart aux Etats-Unis. Ce dernier vient d’ailleurs de s’associer avec Google qui sent aussi le vent du boulet, Amazon étant aujourd’hui aux Etats-Unis le deuxième moteur de recherche et le leader du « cloud ».

Pour connaître la suite de l’histoire, il suffit de regarder la domination d’Amazon sur la distribution de livres en France, et par voie de conséquence la position de dépendance des éditeurs français.

150 millions de produits

D’une manière générale, les entreprises en place se comportent vis-à-vis des GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon] comme des lapins affolés qui se précipitent vers les phares qui les aveuglent. Les dirigeants de la grande distribution font une erreur en pensant être à l’abri grâce à leurs chaînes d’approvisionnement. Certes, ils investissent massivement dans les technologies et le e-commerce, mais ils se trompent sur la nature même de cette concurrence.

Amazon n’est pas un distributeur ayant un énorme service informatique, elle est le service informatique lui-même. La stratégie d’Amazon est extrêmement simple, et cela depuis sa création : première étape, mettre sur internet des bases de données de produits disponibles grâce à la mise en réseau des fournisseurs, quitte à les vendre à perte (du fait du transport) ; deuxième étape, intégrer ces produits dans sa propre chaîne d’approvisionnement en fonction des ventes, en déployant ainsi ses infrastructures sans risque d’erreur sur leurs dimensionnements.

Amazon a totalement intégré la nature même d’Internet où chaque page est un agrégat de dizaines voire de centaines de serveurs différents ; c’est ainsi qu’Amazon France peut proposer aujourd’hui 150 millions de produits dont seule une partie infime est en stock dans ses entrepôts.

Prévision apocalyptique

Pendant ce temps-là, les distributeurs français pensent avoir trouvé la solution pour développer plus rapidement leur e-commerce en France : le Drive [des magasins où les consommateurs viennent récupérer leurs achats en ligne]. Mais qui gagnera demain la guerre des prix ? Des distributeurs qui ont des milliers de mini-entrepôts partout en France, ou Amazon qui a quelques entrepôts correctement dimensionnés et parfaitement placés pour réduire les coûts logistiques au minimum ?

Mais derrière cette prévision apocalyptique pour la grande distribution, il y a une très bonne nouvelle : Amazon n’a réalisé aucune rupture technologique. Alors si les distributeurs souhaitent résister à Amazon, il leur suffit de créer une filiale indépendante et d’appliquer la même stratégie. Evidemment en commençant par le livre, comme Jeff Bezos !

De plus, ils trouveront certainement plus de soutiens politiques contre l’évasion fiscale pratiquée par Amazon, car si l’édition ne fait travailler « que » 26 000 personnes, la grande distribution, elle, représente 750 000 emplois…

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