Lettre ouverte sur le monde de l’édition

Nicolas Arthur

Jeunes auteurs : les grands oubliés de l’édition française

 

Arthur Nicolas, auteur de science-fiction et de fantasy

 

En 2024, l’édition française a généré 2,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Ce chiffre, tiré du dernier rapport du Syndicat national de l’édition (SNE), témoigne de la bonne santé économique du secteur. Le livre continue de se vendre, les éditeurs maintiennent leur activité, les best-sellers s’enchaînent. Pourtant, derrière cette réussite chiffrée, un autre visage de l’édition se dessine, plus discret, plus amer : celui des jeunes auteurs, ceux qui tentent de débuter, d’exister, de faire entendre leur voix dans un système de plus en plus verrouillé.

 

Aujourd’hui, les maisons d’édition à compte d’éditeur – celles qui ne demandent pas d’argent aux auteurs – investissent très peu sur les primo-romanciers inconnus. Les causes sont multiples : surcharge de manuscrits, recherche de rentabilité immédiate, frilosité face aux textes atypiques ou exigeants. Dans la pratique, cela signifie le plus souvent une absence totale de réponse, ou des refus laconiques, sans explication ni retour.

 

Dans ce vide, un autre modèle prend de l’ampleur : celui du compte d’auteur. Ces structures, bien référencées, souvent séduisantes sur le papier, proposent de réaliser le rêve de publication… en échange de plusieurs milliers d’euros. Derrière une façade professionnelle, les services sont parfois bâclés, la diffusion quasi inexistante, l’accompagnement absent. L’auteur devient alors un client. Et l’on assiste à une bascule inquiétante : publier ne dépend plus du talent, mais du portefeuille.

 

Cette réalité est d’autant plus préoccupante qu’elle s’inscrit dans un contexte général de repli : le nombre de nouveautés diminue, les lecteurs les plus jeunes lisent de moins en moins, et le marché tend à se concentrer autour de têtes d’affiche et de récits calibrés. Dans cet écosystème saturé, ceux qui n’ont ni réseau, ni nom, ni visibilité, se retrouvent rapidement marginalisés. Leur parole reste inaudible. Leur manuscrit n’existe pas. Et leur motivation finit par s’éroder dans un silence aussi démobilisateur qu’injuste.

 

Il serait pourtant faux de jeter la pierre uniquement aux éditeurs. Beaucoup font ce qu’ils peuvent avec des équipes réduites et des contraintes fortes. Mais si l’on veut que la littérature continue d’évoluer, de surprendre, d’interroger, il faut penser au-delà du seul système éditorial. Les relais de visibilité – libraires, bibliothécaires, organisateurs de salons – ont un rôle crucial à jouer. Ils sont en première ligne pour offrir une chance, un espace, une rencontre à ces voix encore inconnues. Ce sont eux qui peuvent proposer une table à un jeune auteur, une lecture publique dans une médiathèque, une invitation dans un salon qui ne soit pas réservé aux habitués du Top 10.

 

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : faire vivre la diversité. Offrir un espace à ceux qui n’entrent pas dans les cases, qui n’ont pas encore fait leurs preuves mais qui portent une vision, une langue, un imaginaire neuf. La littérature a besoin de cette relève. Elle ne peut pas se contenter de recycler l’existant. Si elle ne se renouvelle pas, elle meurt à petit feu.

 

Ce constat n’a rien d’une fatalité. Il existe des solutions concrètes, réalistes, applicables dès demain si la volonté politique et culturelle est au rendez-vous. On pourrait imaginer, par exemple, des appels à manuscrits réservés aux primo-auteurs, organisés par les maisons d’édition avec le soutien du CNL ou des Régions, garantissant lecture, retour et accompagnement. On pourrait créer un fonds public dédié aux premières publications, sur le modèle du CNC pour le cinéma, afin de financer le risque éditorial que représente un auteur inconnu. Il serait aussi pertinent de valoriser les librairies et les salons du livre qui s’engagent pour la relève, à travers une prime ou un label encourageant ces choix éditoriaux audacieux.

 

Une autre piste consisterait à lancer une plateforme nationale de repérage littéraire, gérée par un organisme public ou associatif, permettant à chaque auteur de soumettre un manuscrit, d’obtenir une fiche de lecture constructive, et d’être orienté vers des mentors ou des éditeurs ouverts à la nouveauté. Parallèlement, il devient urgent d’encadrer plus strictement le compte d’auteur : en imposant une transparence totale sur les tarifs, la diffusion et les prestations réelles, et en sanctionnant les abus les plus flagrants via la DGCCRF.

 

À plus long terme, il faudrait aussi agir en amont, dans la formation des professionnels du livre, en introduisant des modules sur la diversité éditoriale, le repérage des nouvelles voix, et la nécessité de s’ouvrir à des parcours atypiques. Enfin, pour donner une véritable vitrine aux écrivains de demain, pourquoi ne pas créer un prix national des lecteurs pour une première œuvre ? Un prix décerné par des lecteurs, sans pression commerciale, uniquement basé sur la qualité d’un premier roman.

 

Il ne s’agit pas de publier plus, mais de publier mieux. De ne pas confondre qualité littéraire et notoriété. De refuser une édition formatée par les algorithmes et dictée par les classements. Une littérature qui ne se renouvelle pas est une littérature qui s’assèche. Un écosystème éditorial qui n’ose plus est un monde qui abandonne sa mission culturelle.

 

Les primo-auteurs ne demandent pas de faveur. Ils demandent une chance équitable, un espace pour exister, un relais pour être lus. Car chaque voix célèbre a un jour été une voix inconnue.

 

En France, environ 78 000 livres sont publiés chaque année, tous circuits confondus (source : BNF, 2024). Pourtant, selon les estimations du secteur, moins de 500 primo-romanciers parviennent à être édités à compte d'éditeur, c'est-à-dire sans frais pour l'auteur.

Cela représente moins de 1% des publications annuelles.