Le primitivisme de Denis Roche
Dans son œuvre d’écrivain et de photographe, Denis Roche cultive des formes d’expérience auxquelles s’est attachée la qualification de « primitives ». Tout en s’inscrivant dans les conditions de sa société et de son temps, cette œuvre peut être en effet lue comme une reprise du « phénomène social » de la magie tel qu’il a été analysé par Hubert et Mauss. Plus généralement, elle s’approprie, en les décontextualisant, divers phénomènes issus de sociétés lointaines.§Sans doute Denis Roche perpétue-t-il par là le primitivisme, en tant que composante des arts de la modernité. Mais l’enjeu de sa pratique n’est pas réductible à la tradition du nouveau. En confrontant cette pratique avec l’anthropologie structurale, cet essai tente ainsi de montrer qu’elle est surtout l’épreuve, par un excès paradoxalement fondateur, des conditions transcendantales de l’humain. De ce point de vue, c’est de Dada qu’elle serait le plus proche.§Autant dire qu’il ne s’agit pas chez Denis Roche d’un néo-chamanisme en quête d’au-delà. Sa pratique artistique est tout à la fois un révélateur anthropologique et une activité critique. Sa lyrique amazonide est l’amplification, par les procédés d’un art poétique, qu’ils soient littéraires ou photographiques, d’une question dont la pertinence taraude encore les contemporains, pris entre sciences de la nature et retours du religieux : la question anthropologique elle-même.§Stéphane Baquey est l’auteur d’une thèse sur Michel Deguy, Denis Roche et Jacques Roubaud. Critique de poésie, il est maître de conférences à l’université de Provence.§