
Un ruban bleu à la cheville
Je suis allée à Calcutta, deux jours seulement, au retour, le livre était là, comme une évidence. J’ai su d’un coup, ce qu’il fallait écrire, le comment, le pourquoi. Je devais exprimer les indicibles émotions qui m’avaient saisie dans ce pays, au fil des voyages, au fil des années. Il me fallait écrire ce que je ne parvenais pas à exprimer, ce qui me coupait la respiration lorsque je racontais et qu’au milieu du récit, je changeais les mots pour d’autres, j’écourtais, j’éludais, je rendais la parole supportable.
L’Inde m’étouffait d’émotion, m’assaillait, me brisait, me traînait dans son flot rugissant telle un fétu. Elle me mettait le cœur à vif, me laissait exsangue, m’épuisait et me ravissait tout à la fois. J’avais à chaque instant envie de fuir et de rester, dans une ivresse et un vertige absolu des sentiments.
Telle l’héroïne de Marguerite Duras dont elle porte le nom, Anne Marie Stretter est traversée par l’Inde. Elle y a passé plusieurs décennies, elle aime ce pays, elle s’y sent transportée, mais elle affirme aussi que l’Inde n’est qu’un fantasme, une expression onirique du réel. Elle croit en la théorie des psychanalystes qui parlent du « sentiment océanique » une forme de perte de soi-même, de dilution dans un tout.