Paradis 123

Derrière un rideau d’arbres sombres et dénudés prématurément par un vent vif et hargneux, ronronnait de satisfaction l’incinérateur, édifice verdâtre, créature ventrue digne des mangas japonais. Il crachait et répandait, impassible, son haleine pâle sur la campagne endormie.

- On dirait la scène juste après l’invasion des démons, pesta Keller dont la voix s’était dressée contre le projet avant sa réalisation.

Des nuages lourds roulaient dans le ciel qu’un jour naissant enflammait. La chaleur de l’espace semblait peiner à se frayer un chemin jusqu’à la terre. La pluie ne tarderait pas à tomber de nouveau.

Le vent jouait dans l’armature métallique et creuse de la galerie fixée sur le toit d’une fourgonnette. Il s’y engouffrait, sonnait, trébuchait, hoquetait, virevoltait, sifflait une harmonie enchanteresse aux couleurs et tonalités inconnues. Sourdes à son appel à la gaieté, les voix des hommes la bousculaient, la contrariaient. Des flashes, des grésillements, le timbre rauque d’une radio en attente de réponse.